Mon travail se situe autour de la question de la place de l’Homme dans le monde : l’Homme est-il le centre du monde ? Nicolas Copernic a effectué une découverte extraordinaire en identifiant la terre comme étant le satellite du soleil. Et, pour ma part, je fais partie de ceux qui aujourd’hui perçoivent l’Homme tel un satellite de la terre. Jean-Marie Schaeffer évoque « La Fin de l’Exception Humaine » dans son ouvrage et invalide la thèse d’une transcendance de l’Homme à l’égard de la nature. C’est sous cet angle que s’inscrit mon travail artistique, associant art, biologie, anthropologie et réflexion esthétique.
J’ai toujours été fascinée par la question de la métamorphose du vivant. Par exemple, ce qui interpelle bien des enfants, moi y compris à l’époque, c’est la transformation du têtard en grenouille, capable de se modifier par la perte d’éléments. Il perd certaines structures, telle que la queue, pour en développer d’autres comme les pattes, le poumon. Aujourd’hui, je m’intéresse à des métamorphoses dans une temporalité – on peut dire – inversée. J’ai une sensation de vertige lorsque je porte entre mes mains un galet de gneiss de deux milliards d’années. Et c’est ce que je cherche au travers de mes créations, un espace-temps qui nous dépasse. Plus que la question du temps, celle de l’origine. Le « Qui suis-je », « Qui sommes-nous face au temps » ?
D’ailleurs, mes créations me ramènent toujours à cette quête de l’origine. Lorsque je laisse la terre faire œuvre et envahir des albums photos posés à même le sol, permettant ainsi la colonisation de l’objet par des mycètes, j’ai l’impression d’être dans quelque chose qui pourrait être à l’origine de la vie et annonce cette confrontation Homme / Nature. Dans le cas présent, la contamination amène l’objet irrémédiablement vers sa destruction.
Comment vois-tu les relations entre l’art et la science au 21ème siècle ?
J’ai l’impression que l’approche des artistes et des scientifiques s’enracine dans un même processus d’élaboration imaginaire. Mais, la théorie de l’artiste ne vérifie rien. Elle vient transformer notre regard et produire des effets de réel.
Quels sont les auteurs, les scientifiques, philosophes ou encore écrivains qui ont influencé ton travail ?
Il est vrai que si mon travail se construit de manière intuitive, il se nourrit aussi de lectures, de conférences et de rencontres philosophiques ou scientifiques. « Être aux Aguets » écrivait Gilles Deleuze. C’est tout le mérite de l’ethnologie, de l’anthropologie et de la philosophie, nous donner un autre point de vue sur le monde, apporter ce que Lévis Strauss appelait « le regard éloigné ». En cela les pensées de Maurice Merleau-Ponty, Philippe Descola… mais aussi celle de Thomas Lecuit, biologiste et titulaire de la Chaire Dynamiques du Vivant, m’aident à construire une vision non anthropocentrée du monde.